Mes grands-parents: une autre époque
Parce que je ne suis déjà plus très jeune, je vais vous parler d’une époque un peu lointaine. Celle des années 80 et 90. Les grands-parents de ces décennies étaient des enfants de la guerre et des jeunes adultes d’une époque changeante.
Ils ont vécu le pire, coincés dans leur éducation rigide et ont ensuite découvert la liberté, la débâcle ?
Mon grand-père
J’aurais tellement aimé vous parler de ma grand-mère. Malheureusement, je ne l’ai pas rencontrée. Elle a connu la guerre dans son adolescence, elle s’est mariée très jeune à un bel homme aux yeux couleur Caraïbes et elle a vécu la vie de beaucoup de femmes de sa génération. Elle a eu 9 grossesses et élevé 7 enfants. Elle s’est éteinte à 41 ans, son corps était trop épuisé. Je garde d’elle une image idéalisée par les souvenirs de ma mère : une femme intelligente et gentille que j’aurais tant aimé serrer dans mes bras. Ma mère a trouvé en moi une ressemblance avec elle et cela me rend très fière.
Son époux, mon grand-père, n’aura pas été le père qu’espérait ma mère et ses frères et sœurs. Il n’a pas su gérer l’éducation de ses enfants après le décès de ma grand-mère. Il avait ses défauts et ses travers et les papas de l’époque s’occupaient rarement de leurs enfants.
Mais il a été mon grand-père et celui de mes frère et sœurs et de mes cousins. Un grand-père des années 80, bien différent de ceux d’aujourd’hui. Je le trouvais si vieux !!! Alors qu’il nous a quitté l’année de ses 70 ans, l’âge que mes parents atteindront l’an prochain. Et je les trouve encore jeune…
Il interagissait peu avec nous mais il nous souriait avec tendresse. Il nous offrait toujours un michoko qu’il rangeait en haut d’un placard. Je n’ai que 2 images très nettes de lui : un samedi midi sur deux à notre table et le reste du temps assis sur une chaise dans sa cuisine, un verre de vin à la main.
Sa maison était un sanctuaire. Nous avions exceptionnellement le droit de monter (j’ai dû y aller 2 ou 3 fois) et de pénétrer dans la salle à manger. Nous jouions la plupart du temps dans l’allée où nous passions nos petits corps au-travers du portail, ou dans le jardin où nous organisions des courses d’escargots.
Je l’aimais bien fort et j’aimerais pouvoir le lui dire. Je ne crois pas l’avoir jamais fait.
Mon pépé et ma mémé
Oui, c’était ainsi qu’on les nommait. Pieds-noirs, à l’accent chantant des calanques et l’allure tranquille de Provence. Quand j’étais très jeune, nous les voyions très peu : 1200 kilomètres nous séparaient. Entre Brest et La Bouilladisse (n’est-ce pas un nom charmant ?), les interactions étaient rares. Alors, les quelques fois où ma mémé a fait le déplacement, c’était pour nous une grande fête. On adorait entendre chanter ses mots et subir ses bisous qui claquent. Sa marque de fabrique.
Elle venait seule car mon pépé était très très casanier. Ils étaient si différents ! Mais aucun ne montrait à l’autre de marque d’affection. Par pudeur ?
Ils s’étaient mariés parce qu’il fallait se marier. Ma mémé avait eu un autre amour avec une fin tragique. C’est peut-être pour cette raison qu’elle l’avait idéalisé et qu’elle ressentait quelque rancœur envers cette vie.
Je n’ai commencé à les connaitre réellement que lorsque je suis devenue maman. Le rapport est alors différent. Et c’est en allant chez eux pour leur présenter numéro 1 que j’ai découvert que l’amour se porte parfois sans se montrer. J’ai vu mon pépé, si distant habituellement, si froid même, je l’ai vu caresser la joue de ma fille lorsqu’il se croyait seul, à l’abri des regards. Le masque est tombé, la carapace s’est fissurée pour dévoiler le cœur de l’homme à l’intérieur.
Quand il nous a quitté, je suis allée un peu plus souvent voir ma mémé avec les enfants. Chaque fois, je me disais que ce pouvait être la dernière… alors je partageais avec mes enfants mes souvenirs d’enfance dans cette maison fissurée. Je leur racontais nos rires, nos baignades dans un bateau pneumatique rempli d’eau. Je leur disais en souriant que mémé de Marseille nous interdisais de nous baigner, même dans le bateau, si nous venions de manger. Il fallait attendre plusieurs heures !
L’affection que je leur portais, je l’ai matérialisée avec elle, mon dernier grand-parent.
Aujourd’hui, je n’ai plus de grands-parents. Il me reste les souvenirs et les odeurs. La menthe, les poivrons grillés et le couscous me ramènent immédiatement dans le Sud-est, sur la terrasse ensoleillée de pépé et mémé. Un michoko ou un portail en tubes de fer me projettent dans le jardin de mon grand-père.
Aujourd’hui, ce sont mes parents les grands-parents. Et ils sont bien différents…