Et l'aînée quitte le foyer...
C’est certainement exagéré, peut-être stupide, plutôt étonnant… En tout cas, moi, ça m’a étonné. Oui, ma réaction au départ imminent de ma fille m’a surprise. Je me savais sensible à ce sujet mais je n’aurais pas imaginé que je le vivrais ainsi. Et peu importe ce que vous pourrez en penser ou ce que moi-même je peux en penser a posteriori, ça s’est passé comme ça.
Je me suis accrochée autant que possible à nos moments de vie à cinq, voyant l’échéance approcher. Le voyage au Mexique, le séjour au ski, les apéritifs entre nous, le week-end de mon anniversaire… J’ai fait le plein de bons souvenirs, consciente cependant que je n’en aurais jamais assez.
Et puis j’ai fait comme pour chaque grossesse : éviter de penser au moment fatidique. Celui où tu te sépares de l’enfant. Bon, on est d’accord que la séparation de l’accouchement mène à une vie tout collés-serrés avec l’enfant tandis que là… ben c’est juste une séparation. Point. Pas final.
Mais ce lundi 2 mai en soirée, je ne pouvais plus faire semblant.
Installée dans mon lit douillet devant ma série, j’étais bien. Forcément. Et pourtant. Aussi passionnante est-elle, la série n’a pas suffi à éloigner mes pensées de la séparation imminente. Celle que je redoutais et qui allait marquer un tournant dans notre vie de famille. J’ai bien essayé de continuer à ignorer les faits. En vain.
Je me suis mise à pleurer, sans le vouloir. Malgré moi. Des gros sanglots qui me serraient la gorge. Une tension forte, puissante, qui m’écrasait le corps. J’ai lutté en me raisonnant : tout va bien, on va se revoir, elle est heureuse et c’est le principal…
Et puis, les larmes n’ont plus suffi à exprimer ma peine. J’ai ressenti un poids sur la poitrine. Une douleur profonde. Je me sentais en détresse mentale. J’avais besoin de réconfort mais impossible d’en trouver à la maison. Je ne voulais pas rajouter à la peine de la petite. Je ne souhaitais pas risquer d’éveiller celle de mon fils et, plus que tout, je voulais éviter de laisser à ma grande une image de désolation. Elle était si heureuse de partir ! C’était mon devoir de ne pas lui créer de regrets ou de culpabilité.
Je me suis tournée vers chéri qui, pas de chance, n’avait pas son téléphone près de lui. Alors j’ai attendu que ça passe.
J’avais si mal que j’aurais pu croire à un vrai problème de santé. D’autant que je ne me pensais pas si angoissée ! Mais j’ai supposé que c’était là ce qu’on appelle une crise d’angoisse. J’ai soufflé, changé de position, je me suis levée, ai essayé de me concentrer sur la série. J’ai cherché à me convaincre que tout allait bien.
J’aurais voulu simplement la serrer fort dans mes bras et imprimer la chaleur de son corps dans le mien. J’aurais voulu suspendre le temps et lui dire tout l’amour que je lui porte. J’aurais voulu …
C’était peut-être stupide, exagéré, inapproprié… mais c’est arrivé. Ce que je refusais de me laisser ressentir, ce que je niais s’est répandu dans mon corps, me mettant face à mes sentiments. J’étais triste, sincèrement et puissamment. Je devais faire mon deuil de notre vie de famille. Il fallait passer à autre chose, contre ma volonté.
Puis elle est partie. Je l’ai serrée dans mes bras et elle s’est laissée faire, elle qui n’aime pas les effusions de sentiments. Je lui ai dit que je l’aimais et je l’ai laissé partir vers sa nouvelle vie.
Nous avons échangé quelques messages sur le groupe « famille ». Un lien important aujourd’hui.
J’ai raté la première conversation car j’étais au hand. Puis nous avons appris que son premier week-end de permission tombait sur celui de l’ascension : nous ne serons pas à Bordeaux. Nous ne la verrons pas. J’ai cependant bien vécu ces petites déceptions. Peut-être parce que, une fois de plus, je me conditionne.
Et puis la première photo, les premiers retours de sa vie là-bas. Elle semble heureuse, épanouie, motivée. Elle rayonne. Et moi, je me suis sentie soulagée, plus légère que les jours précédents.
Et vendredi, son premier appel. Entendre sa voix, l’imaginer, me sentir proche… J’étais tellement contente !
Vivre sans elle quelques jours, ce n’est pas insurmontable. Je m’en rends à peine compte au quotidien tant ma vie est chargée. On ne se voyait pas tout le temps. Chacun vivait sa vie… Et nous sommes encore tellement occupés, en semaine comme le week-end !
Pourtant hier soir, mercredi. 8 jours après son départ, j’ai à nouveau ressenti un poids sur la poitrine. Elle venait d’envoyer une photo d’elle en tenue complète et elle venait de nous informer qu’elle allait avoir sa propre mutuelle. Une séparation de plus. Est-ce pour ces raisons ? Mais ça n’a pas duré cette fois. Je suppose que je m’y fais.
Et à ceux qui ont envie, gentiment, de me dire qu’on ne fait pas des enfants pour soi, que c’est normal qu’ils quittent le foyer et qu’il ne faut donc pas réagir de la sorte, j’ai une réponse : on sait aussi que la mort est l’issue, ça ne la rend pas moins triste. C’est ma façon de traverser cette épreuve. Je n’en ferai pas des tonnes, je saurai m’adapter. Comme toujours.