En décalage: maman d'ados au milieu de jeunes mamans
Je vous vante souvent l’intérêt d’avoir des adolescents parce que, bon, c’est vrai, ça a plein d’avantages. Et puis, ne nous leurrons pas, puisque nous n’avons pas le choix de faire avec, il vaut mieux en tirer du positif !
Avoir des enfants grands ne m’empêche évidemment pas d’avoir des anecdotes sur leur jeunesse. Mais les souvenirs sont un peu loin et à part quelques événements marquants, il y a peu de chances que je puisse rebondir sur une conversation de jeunes parents.
Enfin si, je pourrais… mais ça me semblerait un peu réchauffé. Et puis, j’ai un peu moins d’enthousiasme à narrer le bobo de l’un ou le vomi de l’autre quand ils ont eu lieu plusieurs années auparavant. Tout a coagulé, ne reste qu’un amas sans relief.
Et me voilà donc en décalage.
Ce jour-là, je suis entourée de mamans. Elles sont naturellement très fières de parler de leurs rejetons qui ont tous moins de 10 ans. Certains paradent encore en couches, ils zozotent, courent cul-nu ou appellent leur génitrice pour qu’on leur essuie leur jeune derrière… quand ma dernière à moi approche la dizaine et se sépare avec fierté de son réhausseur.
Des étoiles dans les yeux, elles racontent le dernier progrès de l’enfant qui s’habille enfin seul même s’il met le pantalon devant derrière. Remarque que c’est très marrant de voir les poches sur les fesses et l’enfant se dandiner. Une autre renchérit que la sienne sait écrire son prénom et que, du coup, elle l’écrit partout : sur les murs ou les factures.
Sur ce sujet des bêtises, on pourrait en avoir pour la journée tant les enfants sont inventifs. On se demande même si les mamans ne sont pas un peu fières de l’imagination et l’audace de leurs petits génies.
Je voudrais bien participer mais les bêtises des miens sont moins charmantes. Nous sommes sur un autre registre, dans un autre monde. Les bêtises d’un ado ou d’un préado, c’est comme les pieds : c’est moins mignon que chez les petits.
J’ai moi-même beaucoup aimé raconter la vie de mes enfants, leurs frasques, leur évolution. Quelle mère n’y trouve pas de plaisir ? Mais aujourd’hui, quand je suis au milieu de ces mamans, je ne me sens plus trop à ma place. Leurs conversations arrivent quelques années trop tard et je me ferais l’effet d’un imposteur en y participant. C’est comme si j’arrivais à une réunion TopChef avec un plat surgelé réchauffé au microondes quoi.
Et si je me mettais à raconter la préadolescence et l’adolescence, ne proposerais-je pas un monologue ? Ou ne provoquerais-je pas des déclarations polies, un peu forcées ? J’évoquerais l’exclusion de numéro 2, la mauvaise grâce de numéro 1, nos parties de tarot ? Il me reste bien numéro 3 qui n’a pas encore tout à fait 10 ans (tic tac…) mais elle est elle-même plus proche de l’acné et la première bière que du talc et de la purée de carottes.
Et puis peut-être pas. Peut-être que je me trompe. Mais dans ma grande timidité (oui, je ne suis pas une fille très à l’aise en société), je ne sais pas faire. Je ne sais pas me mélanger à des inconnus lorsque sont abordés des sujets dont je me sens désormais éloignée. Je sais le faire avec des personnes proches et je sais entretenir une discussion sur un sujet qui me met à l’aise avec des personnes que je ne connais pas ou peu. Mais il me faut l’une ou l’autre de ces conditions (un poil exigente la fille).
Je n’ai ni tort ni raison car ce n’est pas un choix de ma part. C’est un fait. Alors je me sens en décalage, je me mets à part. Je leur prête une oreille distraite et j’attends que la conversation change de cap. Il y a bien mille sujets à aborder, non ?
Vous pourriez me dire que je n’ai qu’à orienter la conversation vers un sujet qui me plait. Vous avez raison. Je ne sais pas faire. Je n’ose pas.
A bien y réfléchir (oui, ça carbure là-haut), alors que mon livre relate justement ma vie de maman et la vie de mes enfants, je me demande s’il ne marque pas un peu une transition, un passage. Il clôt un pan de ma vie. J’ai refermé le livre, je suis passée à autre chose. Et puisque ma qualité est mon défaut, être entière et transparente me met parfois dans l’embarras.