Et si mon enfant était un criminel
Mardi soir, je suis dans mon lit et je regarde une série policière en buvant une tisane. J’ai 52 ans. Mes enfants sont grands et ne vivent plus avec nous. Mon époux est dans le salon. Il joue au jeu vidéo. Tout est tranquille. Les chats ronronnent sur la couette. C’est une soirée d’hiver qui s’écoulent au rythme des gouttes de pluie.
J’entends au loin le téléphone de David sonner. Il ne répond pas. C’est au tour de mon téléphone de vibrer sur la table de nuit. Je l’attrape vivement. Ce doit être important pour qu’on nous ait appelés tous les deux. J’imagine toujours le pire : nos enfants ont eu un accident ? Notre petite-fille est malade ?
Je réponds, le cœur battant. C’est une voix grave, aux intonations calmes, lourdes, qui répond.
Madame Bohëm ? Police nationale.
Je crois défaillir. Le pire est en train de se produire. Je vois déjà les fêlures. Ma vie est sur le point de se disloquer.
Je réponds, angoissée. Ma voix a du mal à sortir de ma poitrine.
Qu’est-ce qui se passe ?
Je crois même qu’une pointe d’hystérie s’est greffé à mon ton inquiet. Je me suis levée et j’atteins le salon lorsque les mots tombent.
C’est votre fils. Il nous a demandé de vous prévenir. Il est en garde-à-vue.
Que ressent une maman qui apprend que son enfant est arrêté ? De la peine, de la peur, de l’incompréhension et du déni. Ce doit être une erreur ! Il a brûlé un feu rouge ? Il a fumé une substance illicite ?
L’agent de police ne veut rien dire. C’est sérieux. Très sérieux. Je tombe dans les bras de David. Je balbutie quelques mots vides de sens. Aussi vides que mon cœur. Le cauchemar a commencé.
Tous les médias s’expriment sur le sujet, comme s’ils connaissaient mon enfant. Ils pensent savoir. Ils l’accusent de tout et le traitent de monstre. Mon enfant. Mon fils. Je l’ai aimé, éduqué, chéri. Nous lui avons inculqué nos valeurs. Nous avons essayé de faire de lui un citoyen du monde, réfléchi et respectueux. Aurions-nous échoué ?
Je ne parcours plus les réseaux sociaux. Ils sont imbibés d’une haine qui me tue. Lorsque certains m’ont reconnue comme la mère du meurtrier, j’ai reçu des messages malveillants, des menaces. Je devrais renier celui que j’ai porté pendant 9 mois ? Nous devrions ne plus l’aimer ? Est-ce seulement possible ?
Je ne le veux pas et je ne le peux pas. Je pleure de honte parfois et de douleur souvent. Le cauchemar se poursuit à chaque seconde. Je vis désormais en apnée et dans la terreur. Comme un lapin pris dans les phares, comme une proie poursuivie par un prédateur. Et ils sont nombreux les charognards. Ceux qui se repaissent du malheur des autres. Ça en fait vivre certains et distrait les autres.
L’enquête, les témoignages, les preuves... Tout l’accable. Tout m’accable. Il ne sait pas dire pourquoi il a commis cet acte. Il regrette mais il l’a fait. On ne peut revenir en arrière. J’effacerais tout si je pouvais. Pour moi et pour lui. Surtout pour lui. Je ne supporte pas l’idée de son crime et je souffre d’observer sa vie le fuir. Ce n’est plus une vie. Il ne le mérite peut-être pas mais si je pouvais modifier le passé, j’userais de ce pouvoir.
Je donnerais ma vie pour qu’il ait une chance de ne pas commettre l’irréparable.
Le procès, les articles dans les journaux, les pleurs de la famille du défunt… La souffrance des victimes n’est pas enviable. Moi, j’ai encore mon fils. Je peux encore le voir et espérer l’étreindre. Ils ne le peuvent plus.
J’ai peut-être de la chance d’être la mère du coupable. Cependant, à la peine s’ajoute le regret et la culpabilité. Je suis forcément coupable, n’est-ce pas ? Il a agi mais nous l’avons éduqué. Mal ? Ou alors n’étions-nous pas assez présents dans sa vie d’adulte ?
Toutes ces questions me hantent depuis l’appel de ce mardi soir. Il n’y a plus de mardis soir d’hiver paisibles. Il n’y a plus d’insouciance.
Le verdict, la prison, les parloirs… Sa vie est entre parenthèse. Il a tout le temps de réfléchir et de regretter. Je le lui rappelle : il doit essayer de réparer un peu, de se racheter. S’il ne peut plus rien pour la victime et sa famille, il peut encore laisser une empreinte moins lourde. Je le lui rappelle un peu moins souvent car moi aussi, j’ai besoin d’avancer. Je vais le voir. Nous allons le voir. Je pleure moins. Je souris même parfois et cela me vaut encore des critiques et des insultes. N’ai-je donc plus le droit de connaitre des moments de plénitude ? Mon fils a-t-il définitivement détruit notre droit à la vie ?
Je ne suis pas différente de vous. Je l’aime pour le pire et le meilleur, comme vous aimez vos enfants. Mais le mien a commis le pire. Il reste mon fils. Je reste sa maman.
J’ai écrit cet article après avoir visionné un extrait de l’interview de la maman de Jonathann Daval et après avoir lu les commentaires des utilisateurs de Facebook. J’ai été sidéré de lire la haine et le mépris contre cette femme qui aime son fils malgré son acte. Elle ne cautionne pas son crime mais elle continue à aimer son fils. J’imagine que j’en ferais autant.