Et si j'avais le super pouvoir... de lire dans les pensées ?
Et si j’avais un super pouvoir… le super pouvoir d’entendre les pensées des autres… Bénédiction ou malédiction ?
J’avais une vie des plus normales jusqu’à ce jour de septembre, l’année de mes 13 ans. En ramassant une rallonge qui trainait au sol du CDI du collège, j’ai été électrisée. J’ai eu beaucoup de chance, je n’ai pas été blessée. Bousculée au même moment par mes camarades, j’ai lâché la prise presqu’immédiatement. Pourtant, il s’est bien passé quelques chose…
Je n’ai pas compris de suite, dans le brouhaha de l’établissement scolaire. Mais en rentrant chez moi… J’ai raconté mon histoire à mes parents qui m’ont répondu en toute décontraction qu’ils m’amèneraient voir un médecin pour vérifier que tout allait bien. Et puis j’ai surpris leurs regards et j’ai entendu mon père s’énerver contre le collège et l’incompétence de ces adultes à qui les parents confient ce qu’ils ont de plus précieux. Les mots étaient violents, sa bouche était fermée. Mon petit frère n’a même pas levé la tête pour réclamer 1 euro dans la cagnotte à gros mots.
Fatiguée et secouée, je suis allée me coucher, pleine de questions. Ma mère est venue m’embrasser, tendrement. Quand elle a serré les dents, je l’ai distinctement entendue penser : « mais quel bazar dans cette chambre !! ». Elle ne l’a pas dit à haute voix. Je suis formelle.
A partir de là, j’ai dû accepter ma réalité : j’ai la capacité à entendre les pensées. Et croyez-moi, je m’en passerais volontiers !!!
Les premières semaines, je ne maîtrisais absolument rien. J’en avais des maux de tête incessants. Tout le monde a mis ça sur le dos du courant électrique qui m’avait parcouru. Je n’ai pas osé en parler. Qui m’aurait cru ? Pire encore : que serait-il arrivé si on m’avait cru ? Je me refaisais les films de science-fiction que j’aimais tant et je me voyais déjà dans un laboratoire, soumise à des tests, isolée du monde.
J’ai donc appris à vivre avec et à en réduire les désagréments. Penser plus fort que les autres, faire tourner en boucle des musiques dans ma tête, faire le vide… La méditation est mon alliée.
A l’adolescence, je m’en servais avec les professeurs qui, malgré eux, pensent à la réponse à la question qu’ils posent. J’ai eu d’excellentes notes à l’oral. Moins bonnes à l’écrit…
Mais les relations amicales et amoureuses ont été houleuses. Comment rester amie avec une fille qui me souriait en m’écoutant mais se disait dans sa tête combien je l’ennuyais ? Comment être amoureuse d’un garçon qui ne manquait pas de penser qu’il avait hâte de me mettre dans son lit ?
Je me suis effacée, petit à petit, au fur et à mesure des pensées négatives ou moqueuses des uns et des autres. Je ne pouvais pas me construire une confiance en moi suffisante pour affronter l’extérieur, face à tous ces miroirs grossissants, déformants. Les gens sont méchants quand ils pensent ne pas être entendus. Quand ils pensent. Ils sont sans filtre. Mais comment leur en vouloir finalement ? Notre cerveau est bien le seul endroit où l’on peut tout dire en liberté ! Les pensées ne sont pas faites pour être partagées. Du moins, pas les pensées brutes et spontanées.
Quand il a fallu choisir un métier, j’ai longuement hésité. Il y a bien des professions pour lesquelles mon don aurait été un atout. J’aurais pu être dans la police ou la justice. La vérité ne peut pas m’échapper. J’aurais pu me diriger vers la protection de l’enfance. A écouter les proches, j’aurais su s’ils avaient été violents avec les enfants ! Encore aurait-il fallu pouvoir prouver les faits. Et puis je n’étais pas prête à entendre les pires horreurs des hommes.
Mais ce que je voulais, moi, c’est me reposer l’esprit. Je voulais être seule. La seule à penser alentour. Un environnement bruyant aurait fait l’affaire mais ce n’était pas très attirant. Et m’isoler totalement… je n’en étais pas là. Pas encore.
J’ai choisi. J’exerce un métier de contact, d’aide, et mes patients ne pensent pas. Je suis vétérinaire. Et je n’aime rien de plus qu’être entourée de ces êtres dénués de vices. C’est apaisant.
Dans le quotidien, ce don est un enfer. Je passe à la boulangerie et la vendeuse me sourit. Elle est en train de penser qu’il lui tarde de rentrer et qu’elle n’en peut plus de tous ces cons de clients.
Le maître de Choupy, le vieux caniche en fin de vie, signe le chèque en retenant ce qui se déverse dans sa tête : « eh ben, elle s’embête pas la véto ! Elle profite des gens honnêtes qui aiment leurs animaux pour s’en mettre plein les fouilles. Elle doit avoir une sacré baraque ».
L’homme qui me plait n’est pas en reste. Il ne peut s’empêcher de penser à ses passions, le basket et les jeux vidéo, quel que soit le sujet de conversation. Ce n’est pas bien méchant. Mais ai-je envie de connaitre ses pensées les plus enfouies lorsque nous ferons l’amour ? Ou lorsque nous nous disputerons ?
Si les pensées sont silencieuses et à la portée de l’unique penseur, ce n’est pas un hasard. Il s’agit de taire les pensées blessantes ou gênantes. Ce silence garantit des relations saines. Certes mensongères, mais viables.
Imaginez que votre collègue vous entende le critiquer ! Que votre frère distingue votre agacement. Que votre voisin découvre le souvenir de votre chaude nuit avec votre nouvel amant ! Imaginez n’avoir plus aucun secret ou connaitre ceux des autres !
Malédiction ou bénédiction… Je fais avec ce que la vie m’a donnée. J’aurais préféré faire autrement.
Je me suis inspirée d’un livre de science-fiction lu dans mon adolescence. Une fin du monde où les humains ont quitté la terre. Quelques-uns ont raté les navettes et se retrouvent avec le fol espoir de parvenir à quitter la planète avant sa destruction. L’un d’eux trouve une machine à lire dans les pensées. Et pendant que le leader les encourage et leur remonte le moral, il l’entend penser qu’il n’y a rien à faire, que tout espoir est perdu. Ne pas savoir, c’est garder espoir.