Et si je devenais maman...
Mes enfants ont grandi. Ma liberté aussi.
Je ne suis plus envieuse des femmes enceintes. Tout juste nostalgique. J’ai reçu mes 3 doses. Je suis vaccinée, je suis guérie. Mais imagine…
Mardi, 8h : Je me sens fatiguée, barbouillée. Peut-être le contrecoup de la soirée du week-end ? Il faut bien 3 ou 4 jours pour m’en remettre désormais. La quarantaine bien installée n’est plus seulement un chiffre, c’est un poids. Le poids des années, les articulations capricieuses et la faiblesse des yeux, des muscles, du corps.
Mais ce matin, j’ai l’impression de reconnaitre la sensation. Impossible ! J’ai fermé l’usine. La ligature des trompes me protège. Et même si j’ai un retard de règles, ce doit être dû à la préménopause. Ce n’est pas la première fois. C’est de mon âge.
L’idée est plantée. Elle est en train de germer. Je sens ses racines envahir mon cerveau. Elle pousse à l’envers car c’est dans le ventre qu’elle se développe. Je nie fermement, physiquement : je secoue la tête énergiquement en espérant expulser l’idée. Mais c’est trop tard. Il faut que j’en ai le cœur net.
11h30 : je quitte le travail précipitamment pour aller acheter un test. Et je cours en sens inverse jusqu’au bureau, paniquée. Je ne peux même pas attendre le soir pour me tester. Je le fais dans les toilettes du travail. Je dois me rassurer rapidement pour pouvoir me concentrer sur ma vie.
11h48 : je déballe le test.
11h51 : je pleure. La deuxième barre toute rose se dresse comme un doigt d’honneur.
Je suis estomaquée. Abasourdie. Assommée. J’ai 45 ans ! Je ne veux pas, je ne peux pas attendre un enfant ! Et comment l’annoncer à mon mari ? à mes enfants ? Je ne le garderai pas. C’est au-dessus de mes forces.
Je me fais excuser au travail en prétextant un malaise. Je suis si pâle et faible que ça passe tout seul. Les collègues me témoignent de l’inquiétude et de la sympathie. Ce sont déjà trop de sentiments qui s’abattent sur une femme déjà à terre.
Sur le retour, je pédale à en perdre haleine. Comme si j’essayais de laisser cette mauvaise surprise derrière moi. Je m’empêche de réfléchir. Je rejette l’idée, encore. C’est inconcevable, ridicule, terrible.
Les enfants sont à l’école, chéri au travail. Je suis seule. D’abord, je m’écroule. Je sanglote. Je crie, je serre les poings et frappe mon oreiller de toutes mes forces. Non ! non ! non !
Reprendre les kilos que j’ai eu tant de mal à perdre, diminuer ou arrêter le sport, me priver à nouveau de liberté, dormir par intermittence, être en décalage avec tout mon entourage, faire une place à cet enfant non désiré dans la maison et dans nos vies, les couches, l’éducation, les devoirs, la pagaille… La liste des inconvénients est longue. Je ne suis pas prête.
J’ai tant aimé devenir maman mais c’est du passé.
Je me relève péniblement. Je vais vers la cuisine pour me servir un verre d’eau. En chemin, je croise mon reflet. J’essaye de l’ignorer mais en vain. Alors je lui fais face. Je le défis du regard. Puis mes yeux se baissent. A mon insu. Ils observent maintenant mon ventre. Et mes mains accompagnent mon regard. Je lève mon pull et je les pose sur mes entrailles.
Salut toi ! Tu m’as joué un vilain tour ! Je ne suis pas contente…
C’est pourtant de la tendresse qui se lit maintenant sur mon visage. En lui accordant de l’attention, j’ai rendu cet être réel. Entre lui et moi se dressent de la peau et de la peur. Il n’a rien demandé, lui non plus. C’est le hasard, la chance ou la malchance qui nous a mis dans cette délicate position. Mais moi, j’ai le pouvoir.
Vais-je en user ? L’avortement, je connais. Il y a 27 ans, ce n’était pas encore le moment d’être mère. J’en avais envie mais je ne pouvais pas offrir une belle vie à un enfant. Aujourd’hui, ce n’est plus le moment. Je n’en ai pas envie même si nous pouvons lui offrir une belle vie.
Peser le pour et le contre pour décider. Et avant d’inclure chéri dans ce choix qui lui appartient aussi, je veux me comprendre. Je veux savoir ce qui me convient le mieux. Le moins mal.
Malgré moi, je me projette déjà. Mon ventre rond, ses coups de pied. Le plaisir de la grossesse et la sagesse de mon âge. Je la vivrai à fond. Je profiterai de chaque instant sans pression.
Et nous accueillerons cet enfant bonus avec la joie de tout parent. Et nous l’éduquerons selon nos principes de toujours et l’expérience de la vie.
Folie. Nous sommes trop vieux. Qu’en sera-t-il lorsqu’il aura 15 ans ? Nous en aurons déjà 60. Nos plus belles années et notre énergie sont derrière nous. Est-ce un cadeau à faire à un enfant ? Il vivra seul avec des parents vieillissants. Ses frère et sœurs quitteront le foyer avant qu’il soit en âge de comprendre l’absurdité et l’égoïsme de notre décision.
Mais n’est-ce pas également égoïste que de choisir de ne pas le mettre au monde ?
Il n’y a pas de vérité. Pas de bonne solution. Je suis plus perdue que jamais entre la raison et le cœur, entre la vie et la mort. Puisque la vie m’a fait une farce, je vais lui laisser le temps de rire un peu. Et peut-être que les prochains jours me guideront.