Et si je me réveillais dans la peau de mon adolescente de 12 ans

Publié le par Raphaëlle

Le réveil sonne, je grogne, je cherche le téléphone frénétiquement (mais où est-il ???), je l’éteins et je m’étire. Je me sens légère, aérienne. Je n’ai pas mal aux doigts, ni aux jambes… je n’ai mal nulle part d’ailleurs. Ça m’interpelle. Je me souviens avec une panique naissante de cette phrase qui m’avait fait rire : Passé 40 ans, si tu as mal nulle part, c’est que tu es mort.

Je me sens pourtant très vivante. Je tends le bras pour ouvrir mon volet électrique mais je ne trouve pas l’interrupteur. J’ouvre les yeux, agacée, et je m’étonne : je ne suis pas dans mon lit, je ne suis pas dans ma chambre. Je suis dans celle de numéro 3…

Je réfléchis à toute vitesse mais je ne comprends pas. Comment me suis-je retrouvée là ? Et où est-elle ?

Je me lève, inquiète et totalement perdue. En posant le pied à terre, je baisse les yeux machinalement. Je me frotte le visage frénétiquement pour essayer de me réveiller. Je dois être encore endormie ! Ces pieds ne sont pas les miens. Ces jambes sont trop fines, délicates, lisses, jeunes… La panique s’empare de moi. Je cours devant le miroir, à la fois pressée de constater et angoissée à cette même idée. Je compte, tête baissée : 1…2… je souffle un grand coup, 3 !

Le reflet qui m’observe est celui de ma fille de 12 ans. Elle me regarde, affolée. Je reconnais ma détresse mais tout le reste, c’est elle. Je secoue les bras, remue les fesses, saute sur place. L’image dans le miroir en fait autant. Je suis moi dans son corps à elle. Je crie à l’intérieur.

Je retourne dans le lit, me cache sous la couette et je refais la soirée. Numéro 3 ronchonnait, comme souvent. Elle râlait après son frère, après moi et son père. Rien n’allait. Et je l’ai envoyée balader, moi aussi fatiguée de ma journée. Et je me souviens maintenant de la phrase qu’elle a prononcé, dans un accès de colère : « tu supporterais même pas une journée à ma place !! Tu comprends rien !! ». Effectivement, je ne comprends rien.

Est-ce seulement possible ? Faut-il que je vive une journée de sa vie comme punition pour ne pas l’avoir écoutée ?

 

Je sors de la chambre afin de tirer cette histoire au clair. Je croise numéro 2 qui ne me jette même pas un regard. Je descends, sans empressement. Il faut que je me voie. Peut-être que dans mon corps se trouve ma fille ? Je suis dans le salon. J’étends le linge. Je m’approche…

Elle/je se/me retourne : « bonjour ma fille, bien dormi ? »

Non, ce n’est pas numéro 3 qui se trouve devant moi. C’est bien moi, dans ma vraie peau. Et comment lui expliquer ce qui m’arrive sans passer par une dingue ? Et déjà qu’hier numéro 3 se plaignait qu’on ne la comprenne pas, pas la peine de rajouter à la confusion.

J’embrasse rapidement la femme devant moi et je prends une décision : j’accepte la situation. Passer une journée dans la peau de ma fille. Peut-être que tout reviendra dans l’ordre après.

 

Je m’habille sans me doucher. Je serais gênée de lui imposer ça. Et je pars au collège. La marche de 15 minutes est agréable mais toutes les questions se bousculent dans ma tête. Ai-je été une si mauvaise mère qu’il me faut surmonter cette épreuve ? Comment vais-je m’en sortir ?

J’ai regardé mon emploi du temps mais, étrangement, je savais. Je me sens guidée par ma fille.

Je retrouve ses copines et je les laisse parler. Elles aussi se plaignent de leurs parents. Puis je vois, de loin, une amie qui m’ignore. Je ressens de la tristesse. Mon cerveau d’adulte analyse la situation et mon cœur d’ado est brisé. J’avais oublié ce que c’était que ressentir tout en plus, en pire.

Pendant les cours, je reste silencieuse, en retrait. Je ne voudrais pas lui causer de problèmes aussi mieux vaut-il que je me fasse discrète. J’observe les réactions puériles, les rires cachés, les yeux au ciel… Je sens bien que j’ai envie d’y participer. Faire partie du tout, ne pas être à part.

Dans les couloirs, je croise un groupe de 3èmes. Je m’écarte. Pas assez vite. Ils me bousculent et le plus beau des garçons me jettent un regard moqueur, se tourne vers ses potes et lance un « des parasites ces 5èmes ! ».

Moi, du haut de mes 45 ans, je sais que ce n’est pas personnel. Qu’il fait le malin devant les copains. Mais numéro 3, elle, reçoit la remarque comme un coup. Je sens les larmes monter aux yeux de ma fille. J’aimerais la rassurer, lui faire relativiser la situation, la consoler. Je me sens tellement désolée de la souffrance qu’elle peut ressentir.

 

En fin de journée, je reviens à la maison, soulagée d’avoir traversé cet exercice sans trop de dégâts. La maison est vide. Mon frère est encore au lycée et ma mère au travail. Elle ne rentrera que dans 2 heures ou plus. Je suis seule. Je me sens seule.

Numéro 3 aime le contact, les interactions. La solitude lui pèse. Et je le ressens puissamment. Je sens mon cœur vide.

J’attrape la tablette et je cherche à combler le silence. Je retourne dans ma chambre, accompagnée de personnages de manga. J’ai mis une série d’animés, sans réfléchir, par réflexe. Et je la laisse consciemment. Pour comprendre son univers ?

 

Il me reste à affronter le dîner. Mon frère et ses remarques, ma mère et ses réflexions. J’ai l’impression de faire tout mal. Je prends sur moi pour ne pas me vexer mais c’est impossible. Et puis, c’est devenu une habitude d’être sur la défensive. Je réponds un peu mal et ils réagissent au quart de tour. Ne peuvent-ils voir dans mon regard que j’en souffre aussi ?

 

Après cette journée épuisante, je regagne ma chambre aussi vite que possible. Je veux me rendormir.

 

Le réveil sonne, je grogne. J’attrape le téléphone pour l’éteindre. Il est à sa place. Tout est à sa place : mon corps dans ma chambre, ma vie dans mon corps. Était-ce un rêve ? J’ai une impression forte d’avoir réellement vécu cette journée. Je me sens triste pour numéro 3. Et je prends le temps de me souvenir et de m’interroger.

Je me rappelle un peu mon adolescence et le poids des ressentis. A 45 ans, on oublie. Et on relativise.

Et surtout, l’adulte est là pour éduquer. On ne peut pas éduquer un enfant en s’identifiant. On doit prendre du recul, de la hauteur, de la distance. On doit faire preuve d’objectivité pour aider les adolescents à grandir.

Mais aujourd’hui, je vais porter une attention plus bienveillante à ma fille. Je vais l’écouter, prendre le temps et peut-être trouver les mots qui l’élèveront sans lui donner l’impression qu’elle est seule.

 

Publié dans saga, maman d'ado

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H
Tres belle analyse. Nous les adultes nous devrions porter plus d'attention aux jeunes et se souvenir de notre adolescence et toi tu le fais tres bien. Je 💕 t'aime. Bisous 😚
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