Et si la guerre s'invitait dans nos vies

Publié le par Raphaëlle

Je l’entends, forte, menaçante. Il n’est pas midi et nous ne sommes pas le premier mercredi du mois à Brest. Il n’y a pas d’autre raison que la pire pour que la sirène hurle à la mort. Elle nous prévient : ça y est, elle est arrivée.

Qui donc ? La guerre pardi ! On entendait les journalistes s’affoler en retenue depuis des semaines et déblatérer sur les discours belliqueux du pays voisin. Ils essayaient de nous rassurer tout en nous informant. A tel point d’ailleurs, que je n’y croyais pas. Cela me paraissait plus qu’improbable. La guerre ? Ce sont des chapitres d’histoire ou l’actualité étrangère ! Ce n’est pas réel ! Tout se réglera diplomatiquement !

Pourtant, la sirène, je l’entends. Elle est réelle. Ses notes sont presque palpables. Elles pénètrent mon cœur et des frissons glacés parcourent ma nuque, descendent dans mon dos et me coupent les jambes. Sans m’en rendre compte, je me suis assise… non, écroulée plutôt. Au contact du carrelage frais, je reprends un peu de consistance.

D’abord, je me lève, légèrement ensuquée. Comme dans un rêve. Je parcours la cuisine du regard jusqu’à trouver la tablette. Je l’allume et je cherche l’application d’une chaine d’infos. Tremblante, je touche l’écran du bout du doigt.

C’est écrit en gros, ça défile en bas de l’écran et ils ne parlent que de ça. La guerre. Le conflit armé. L’intrusion des troupes militaires sur plusieurs fronts. Les premières bombes. Les premières victimes. Il n’y a pas de doute.

J’hésite entre crier, pleurer, paniquer ou n’importe quelle autre forme d’expression de ma stupeur et de ma peur. Ce n’est pas pour moi que j’ai peur. Pas vraiment. Je pense immédiatement à mes enfants. Je dois les ramener près de moi. Immédiatement !!!

Je réfléchis à toute vitesse. Une chance qu’on soit mardi. Je suis en télétravail. Je suis à la maison. Je me demande si je dois aller les chercher mais je ne peux pas me dédoubler. Chéri est en déplacement. Je dois faire un choix.

Je décide d’aller chercher la petite. Son établissement scolaire est plus loin et elle est plus jeune. Elle risque de paniquer davantage. Je prends mon vélo en me disant que les routes vont être prises d’assaut par tous les parents du coin. Elle ira sur mon porte-bagage.

A peine sur la selle, j’appelle mon fils. Je veux lui demander de rentrer et lui expliquer où je suis. A la première sonnerie, il décroche. Il sait déjà, évidemment. D’abord parce qu’il s’est intéressé de près aux récents événements politiques et militaires et ensuite parce qu’il a entendu la sirène. Il semble calme mais je peux entendre l’agitation derrière lui et son souffle court.

Les professeurs leur ont dit de rentrer retrouver leurs familles. Eux-mêmes souhaitaient en faire autant, naturellement. Il est donc en chemin. 5 minutes de marche. Moins s’il se presse.

L’attaque n’a pas eu lieu dans notre département mais que sont 200 kilomètres ? Pas grand-chose dans ces circonstances ! Et Bordeaux est une grande ville. Elle sera visée certainement. Tôt ou tard.

 

Après avoir raccroché, j’appelle chéri. Je lui explique, en butant sur les mots. Je bégaie presque. Je suis sur le point de m’effondrer lorsque nous évoquons notre fille aînée. Elle est si loin ! J’ai tant besoin de les avoir tous auprès de moi. Je veux pouvoir les protéger ou au moins en avoir l’illusion. Chéri me dit qu’il se met en route sans tarder. Et je me ressaisis : numéro 3 m’appelle. Je prends une grande inspiration et je réponds.

Elle est en pleurs. Elle est perdue. Je perçois son soulagement lorsque je lui dis que je ne suis plus très loin. Plus que quelques minutes et je pourrai la serrer fort contre mon cœur…

 

J’avais raison, les routes s’encombrent rapidement. Des parents sont déjà devant le collège. De jeunes enfants sanglotent, accrochés aux jambes de leurs parents qui parlent fort. L’agitation grandit. Je ne veux qu’une seule chose : voir le visage innocent de mon enfant. Le personnel du collège essaye de réguler les sorties. Dans un premier temps, ils ne laissent sortir que ceux dont les parents sont là. Mais certains élèves leur échappent.

Que sera-ce quand les bombes creuseront des tombes dans nos rues ? La panique a déjà gagné la plupart des habitants alors même que le ciel est encore dégagé. Je n’ose imaginer le chaos quand la guerre se rapprochera…

Je la vois enfin. Elle me cherche du regard. Je lui fais un signe de main. Ma fille… Je l’étreins comme jamais et tente de la rassurer. Et d’une.

 

De retour à la maison, je retrouve numéro 2. Je suis rassurée pour lui et pour moi. Il semble solide malgré son jeune âge. Il essaye même de m’apaiser. Nous nous installons à la table devant un café, un thé et un lait menthe et une tablette de chocolat. De quoi réconforter un peu. Je les laisse parler à leur guise, je les écoute, je leur réponds. Nous imaginons la suite, entre pessimisme et espoir.

 

Après quelques longues heures d’angoisse, chéri est de retour. Les embouteillages ont retardé son arrivée mais il est enfin là et je me sens immédiatement bien plus sereine. Il a une force de caractère et une présence apaisante qui nous soulagent instantanément. Ne manque que notre grande. Non seulement elle ne peut pas nous rejoindre pour le moment mais en plus, elle est mobilisée pour défendre son pays. La fierté ne suffit pas à calmer ma peine. Je suis terrorisée pour elle.

Après quelques mots rapides au téléphone, elle nous a annoncé qu’elle devait se rendre sur place. Elle ne savait pas quand elle pourrait nous donner des nouvelles.

 

Voici donc le moment d’accepter et de s’organiser. A l’affut des informations et des instructions qui arrivent de toute part, nous envisageons cet avenir proche qui nous effraie. Je ne sais pas comment nous surmonterons cette épreuve mais nous le ferons ensemble.

Il est l’heure d’apprendre à nous connaitre dans l’adversité. Il est temps de faire appel à nos ressources les plus enfouies. Nous sommes en guerre.

Publié dans saga

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